Toi, moi et Adolphe [Pv Desmond]

[Je voulais utiliser un lieu vide… et je me suis dit que celui-ci le resterait longtemps … alors… XD essaie de trouver une raison à Desmond de se trouver là… oh et … désolée, c'est vraiment court.]

Je me suis précipité ici dès que j'ai su qu'elle y serait. Cette jolie chef de département avec laquelle j'ai discuté ce matin m'a dit qu'elle adorait les chevaux, qu'elle fréquentait ce centre régulièrement. Comme au travail j'ai rarement le temps de jaser avec elle – elle fait du zèle la pauvrette – je me suis dit que de fréquenter le même lieu qu'elle aiderait peut-être à ce qu'on fasse plus ample connaissance. C'est pourquoi je lui ai tout bonnement dit que j'étais un maniaque des chevaux. Ce qui est tout à fait faut, surtout si l'on considère le fait que la dernière fois que j'en ai monté un, je me suis retrouvé par terre les quatre fers en l'air. Enfin, toujours est-il que je suis à la fois déçu et soulagé de ne pas la voir ici. Déçu parce que j'avais vraiment envie de la voir, et soulagé parce que je n'aurai pas à m'humilier. En tout cas, tant qu'à être là, je me suis dis que d'apprendre à monter à cheval pourrait peut-être m'aider à me rapprocher d'elle par la suite. Alors j'ai grassement payé une employée de la place pour qu'elle m'aide à me familiariser.

Et je dois dire que je ne m'en tire pas trop mal. La preuve, je suis tout seul dans les bois sur le dos de cette grosse bête velue et puissante et il ne m'est encore rien arrivé. J'ai tous mes membres, - oui, vraiment tous - je suis capable de diriger l'animal, de l'inciter à m'obéir. Je vais où je veux quand je veux… Tant que ça reste sur le terrain du centre. L'animal que je monte, on m'a dit qu'il s'appelait Adolph. Personnellement, je lui verrais plus une tête d'Aaron. Je ne sais pas… il a un semblant de petite barbiche sous la mâchoire et pour moi, ça va bien avec le nom d'Aaron. Pour Adolphe, il aurait fallu qu'il ait un petit autre chose, exemple une croix gammée sur le flanc, ou un képi et une moustache droite. Je souris en pensant que l'animal lui-même n'en a rien à faire de son nom, et je le comprends un peu. J'aurais tout aussi bien pu m'appeler Fred, et à ce moment je me demanderais pourquoi je ne m'appelle pas Christian…

-Ouch !

Cette onomatopée rimait avec quoi ? Avec la branche que je viens de me prendre en plein sur le nez. Imbécile d'Adolphe, je grogne. Je ne sais pas s'il le prend pour une insulte, mais le cheval sur lequel je me trouve se cabre tout d'un coup, me projetant sur le sol à un mètre de là. Puis, il prend la fuite par là d'où nous venons. Un regard vers la route me montre un adorable petit renard pétrifié de terreur. Voilà donc ce qui a effrayé ce "brave" Adolphe. Le petit animal prend la fuite à son tour et je reste assis dans la terre sèche du sentier.

-C'était très élégant, clame une voix derrière moi.

-C’était très élégant, je commente à l’homme affalé dans la boue. Vous pouvez toujours rêvasser sur votre monture, mais vous devez savoir la maintenir fermement. Aussi, vous devez être prêt à toute initiative de la part de votre bête. On ne sait jamais quand ils vont décider de s’enfuir au galop.

L’interpellé se dresse sur son séant avec misère : une chute sur les fesses est habituellement très douloureuse. Je m’y connais après le nombre de fois où je suis tombé de mon cheval. Oh oui, vous n’avez pas douté d’un grand dur comme moi pouvait être un cavalier hors pair ? Et oui, j’ose vous avouer l’un de mes passe-temps favoris. Petit, ma mère avait reçu un magnifique cheval alezan sur lequel je m’amusais à grimper, je l’utilisais aussi bien plus souvent. J’ai appris comment les diriger, les contrôler, les mener avec fermeté. Il faut toujours se montrer sûr de soi avec l’une de ces créatures, sinon elle ne vous écoute pas. Par ailleurs, elle n’en fait qu’à sa tête. Il ne faut pas avoir peur de leur faire du mal. Le maître, c’est nous, pas eux.

Alors, être présent à cette scène catastrophique me fait jubiler. Pourquoi ? ….C’est simple. C’est amusant de voir un être humain débarquer de sa selle aussi violemment, avec autant de brusquerie, de le voir étaler comme une crêpe dans la terre moelle, perdu. Son cheval a disparu de mon champ de vision, je ne pourrais pas aller le rattraper. Qu’importe.

L’homme me lance un coup d’œil foudroyant, n’appréciant pas mes sermons sur sa façon de monter sa bête. Il rejette, d’un coup de tête, quelques mèches rebelles qui lui obstruent les yeux. Très belle chose, en passant. Grand, bien bâti, viril et musclé comme je les aime. Tout à fait charmant, mais Alexis est bien plus craquant. Bien plus intéressant.
-Je parie qu’il s’agit là de votre première leçon en équitation, je me troupe, monsieur… ?

Mon destrier remue la tête, observant attentivement les mouches qui lui tournent autour de la mâchoire. Il secoue sa belle crinière noire, hennissant tout doucement. Subtilement, il s’écarte du chemin pour se rendre auprès des hautes herbes verdoyantes, mais je le ramène toujours au centre du sentier avec une main de fer.

-Oui, grogne l’autre, mécontent.

-Habituellement, il vous faut un guide, quelqu’un qui pourrait vous aider si le cheval décidait d’en faire à sa tête.

Il peste entre ses dents, maugréant de fortes et virulentes imprécations. L’individu se tient plié en deux, les mains appuyées sur ses genoux, le souffle court. L’impact a dû être douloureux.

-Oh là…Tu as vu, Aselmah, ton copain a déguerpi en laissant son maître sur place.

Mon cheval redresse la tête, la tourne un peu vers moi et me regarde d’un air vide et interrogateur. Je lui caresse tendrement l’encolure tout en dévisageant ce blessé. Il me dit quelque chose…Son visage ne m’est pas totalement inconnu.

-Dites…On ne se connaît pas ?

C'est bien ma journée. Non seulement on m'a vu en train de faire une mauvaise chute – pas grave mais humiliante – mais en plus, je connaitrais cette personne. Bravo. Doublement humiliant. Je bougonne un peu mais le regarde avec plus d'attention. C'est vrai qu'en y regardant de plus près …

-Vous accompagniez une femme à l'hôpital, une femme qui avait fait un arrêt cardiaque.

Sûrement en le voyant dans la rue. Je me souvenais l'avoir vu et lui avoir parlé. C'était lui qui était arrivé avec la dame dans ses bras – il n'avait pas appelé d'ambulance sous prétexte que le service était trop lent et était venu à pied – et qui avait signé les papiers. Je n'ai jamais compris la raison de la crise, et il est parti quand je l'ai assuré qu'elle allait mieux. Mais en y regardant encore plus près, je suis certain de l'avoir vu ailleurs.

-Docteur Cabrol donc, dit-il en souriant.

-C'est exact. Vous avez de la mémoire.

-Je ne traine pas souvent des les hôpitaux et je ne rencontre pas beaucoup de docteurs, dit-il en haussant les épaules.

Et peu de gens doivent consentir à lui adresser la parole, donc il se souvient de chacun d'eux. Méchant Chris… Mon œil de médecin observe ses nombreux piercings avec circonspection. Il y a pas mal de risques d'infections diverses dans la bouche, j'espère qu'il ne met pas trop ses doigts là, ou alors qu'il ne les laisse pas trainer n'importe où. Mon œil d'homme se contente d'éprouver un certain dédain. Non seulement mon métier m'interdit les piercings – imaginez que ça tombe dans le corps d'un patient – mais en plus je ne suis pas un grand fan de cette pratique en général. Je ne vois pas l'intérêt de mutiler son corps de la sorte. Soudain, quelque chose me frappe et je recule.

-Je me souviens de vous ! je m'étrangle en pointant l'homme du doigt.

Quelque chose dans le ton de son "ah oui ?" me fait comprendre que lui s'en souvenait déjà mais ne voulait pas que ça revienne sur la table.

-Vous m'avez dragué dans un bar ! je couine, repensant à cette soirée où j'avais un peu bu et où j'avais dansé avec lui.

Bon d'accord, j'avais beaucoup bu et avec ses cheveux, sa taille fine… enfin, ça me paraissant une taille fine à ce moment… Je l'ai pris pour une femme. Mais quand je me suis aperçu de l'erreur, vous pouvez être sûrs que j'ai pris la fuite, tout de suite cessé.

-Je me rappelle vaguement de vous, marmonne-t-il en roulant le regard au ciel. Écoutez, moi aussi j'avais bu et puis… vous étiez sexy et … vous l'êtes encore, ne vous en faites pas !

Il continue à essayer de corriger ses paroles alors que je fronce les sourcils en dansant sur mes pieds, mal à l'aide. Venant d'un autre homme, je ne crois pas que je doive le prendre comme un compliment.

-Je ne me souvenais pas que vous l’étiez à ce point, j’ajoute, ravi du malaise de l’autre homme. Vos muscles, timides et solides, doivent inviter les femmes à vos tomber dans les bras, et ce sourire si charmeur à la commissure de vos lèvres : c’est renversant.

Je m’amuse comme un petit fou, ce qui n’arrive que très rarement depuis un certain moment. Mon tendre me refuse l’accès à son lit avec violence et moquerie, me répétant sans cesse que je ne suis pas «son type», que les «mecs ne l’intéressent pas» et que je le «dégoûte profondément». Oh mon ange, ne vois-tu pas la souffrance qui rugit en moi, ne ressens-tu pas la colère qui bouillonne en moi, ne constates-tu pas la peur horrible qui m’ébranle lorsque je suis, isolé de toi et de ta présence si rassurante ? Non. Tu n’es qu’un aveugle stupide et bouché qui renonce hautainement à mes avances et à mes propositions alléchantes ! Oh, ignores-tu tous les efforts que je fais, toutes les concessions ! Tu es privilégié d’être aimé par un homme tel que moi ! Oh mais, tu me fiches à la porte, tu me rabats les oreilles avec tes serments d’hétérosexualité ! Un jour, tu verras, tu seras à moi, rien qu’à moi.

À cause de tes refus douloureux, je n’ai plus le sourire au visage et aujourd’hui, Dieu m’a accordé une façon de me détendre : quelques heures d’équitation et croiser sur ma route une vieille rencontre avec qui je pourrais jouer. Ne vous méprenez pas sur le sens de mes paroles, je suis bien en manque, mais je me réserver pour mon Alex. Ce type, il me servira à me défouler un peu. De toute façon, sa manière de se tortiller de gêne me comble de bonheur, voire qu’une rougeur s’installe progressivement sur ses joues. Amusant.

-Non, vraiment ! Vous êtes magnifique avec ces prunelles perçantes et mystérieuses, même que vos lèvres doivent attirer la majorité de la population féminine. Je paris que vous avez une longue file d’attente devant la porte de votre demeure. Toutes des femmes qui patientent en espérant recevoir un baiser de votre part.

Ses yeux semblent jaillirent de leur orbite, sa bouche s’ouvre et se referme hermétiquement, il porte souvent une main dans sa chevelure en bataille et crasseuse de boue. Je le gratifie d’un sourire carnassier et malicieux, le genre de sourire qui prédit quelque chose de louche. Livide, tout son sang s’estompe de ses joues et il commence à regarder partout à la recherche d’une sortie de secours que on cheval serait dans l’impossibilité d’emprunter. Dans ses yeux, j’y vois tout un scénario ahurissant. Il croit peut-être que je songe à le prendre contre un arbre. Ce docteur est grand et costaud, mais je le surpasse aisément. Par ailleurs, j’ai ai plaqué d’autres bien avant lui. Toutefois, je ne veux rien de sa part. Je voudrais qu’Alex se présente, s’incline humblement et me souffle de lui procurer une nuit de plaisir.

-Oh mais, les hommes doivent soupirer auprès de vous, également, beau comme vous êtes. Avez-vous déjà couché avec un homme ? Respirer leur odeur musquée, ressenti leur souffle brûlant contre votre nuque et leurs mains se cramponner à vos hanches pendant que l’un d’eux ….

Je laisse ma phrase en suspens, savourant son expression terrifiée alors que la mienne est plutôt extatique.

Oh … Alex, j’ai tellement envie de toi …

Qu'est-ce que c'est que ce spécimen masculin sorti de nulle part ? C'est quoi ce surplus de testostérone qu'il se tape ? Si je n'étais pas la victime de ses paroles, je rirais aux éclats, bien à l'abri derrière un miroir sans teint. Mais là je suis plus qu'aux premières loges. Le pauvre doc hétérosexuel qui se fait emballer par le sosie de Marilyn Manson. Pathétique, outrageux ! Tout mon être en frissonne de dégoût. Je toussote, très mal à l'aise bien que j'essaie de camoufler la rougeur de mes jours en regardant ailleurs. Ce n'est pas que son discours me fait de l'effet. Oh que non. Seulement, n'importe qui serait intimidé par ce regard morbide et pervers, et ce flot incessant de paroles … flatteuses.

-Si vous arrêtiez de me draguer un petit moment …

-Je ne vous drague pas.

-Je ne vois pas la différence, je dis d'un ton plus sec que je ne l'aurais souhaité.

Le mâle en surdose de virilité s'approche de moi de quelques pas, brisant la distance de sécurité que je nous avais dénichée. Je recule. Il s'arrête et sourit.

-Si j'avais eu dans l'intention de vous séduire, gai ou pas, vous seriez déjà à quatre pattes devant moi à secouer votre petit derrière pour que je vous prenne.

C'est terriblement cru comme paroles. Cet homme me donne la chair de poule, et je déteste ça. Cette manière d'être aussi sûr de lui, de ne pas douter une seule seconde que le monde entier se jetterait à ses pieds… Si j'étais psychologue, je le diagnostiquerais comme un égocentrique narcissique chronique, ou ce qui s'en rapprocherait le plus. Je recule d'un autre pas – sécurité oblige – et finis par corriger mes propos.

-D'accord alors… Si vous arrêtiez de m'effrayer – la lueur de satisfaction dans son regard me fait croire que c'était uniquement ce qu'il recherchait – vous pourriez peut-être m'aider à retrouver Adolphe, le cheval, pour que je puisse rentrer au centre.

-Il suffisait de demander, dit l'homme en hochant la tête. Je ne vous ferai pas monter sur Aselmah. Vu comme vous vous y prenez avec les chevaux, je craindrais que vous fassiez fuir celui-ci de la même manière que votre précédente monture.

Je grince des dents. Je me retiens de lui balancer à la tête que la seule raison pour laquelle j'ai monté ce canasson, c'est parce que j'espérais rencontrer une demoiselle. Il me bassinerait sans doute avec une phrase de gai du genre "ah les hétéros, toujours à faire n'importe quoi pour une femme". L'homme ne monte pas sur sa selle, toutefois il avance vers moi en tenant la bride de son cheval, l'incitant ainsi à marcher à sa suite.

-Au fait je m'appelle Desmond, dit-il.

Je m'en fiche, je maugrée mentalement.

-Moi c'est Chris, je réponds plutôt.

-Eh bien Chris, allons chercher ce cheval, en espérant qu'il ne soit pas déjà retourné voir ses maîtres et se gausser de votre maladresse.

-Mais dites-vous que nous ressemblons tous à ça lorsque nous entamons nos premières leçons d’équitation, je commente afin de la rassurer un peu. Seulement, vous êtes plus lamentable que d’autres. Habituellement, les débutants restent sur leur monture et ne tombent pas sur les fesses.

Je remarque, avec ravissement, ses joues s’empourprer jusqu’à la racine des cheveux. Aurais-je le don pour l’outrager ? On dirait bien que oui. Je soupire. Au début, je m’amusais bien à te faire le même scénario mon ange, mon Alexis, mais aujourd’hui c’est différent. Tes vils regards me sont devenus extrêmement douloureux. J’ai l’impression que je suis blessé et qu’à toutes les fois où nous sommes ensemble, la plaie s’ouvre, se déchire, saigne abondamment et ne se cicatrise jamais. En m’éclipsant de la ville, en fuyant ta si désirable présence, je croyais me remonter le moral en passant quelques heures avec mon cheval, mais rien n’y fait. Je suis maussade et courroucé.

Lui et moi marchons sous un silence pesant et lourd. Aselmah avance d’un pas morne et lent, zieutant avec avidité les herbes bordant le sentier cahoteux. Curieux, j’examine attentivement le docteur Cabrol sous tous les angles. Bel homme dans l’âge mûr, grand et plutôt mince, une belle silhouette. Il se déplace avec élégance les fois où ses chevilles ne se tordent pas entre deux racines. Je soupire une seconde fois. Mais tu es beaucoup plus attrayant, mon chou. Mais ça, tu t’en fiches. Je devrais me poster devant la porte de ta demeure ce soir et supplier de bien vouloir m’accorder une nuit en ta compagnie. Je ne me rabaisserai pas à ça…à m’incliner…à me prosterner devant toi. Je le suis déjà assez.

-Vous aimez les chevaux ? je demande.

-Pas vraiment.

-Alors pourquoi vouloir apprendre l’équitation si l’envie n’y était pas ?

-…

Apparemment, mes questions l’indisposent et ses intentions ne sont pas de mes affaires. Je ne crois pas non plus qu’il veuille répondre à mon interrogatoire, aussi bien cesser immédiatement et replonger dans notre mutisme collectif. Sur le sol, je distingue des traces de sabot fraîches.

-Il trottine non loin d’ici, je l’avertis en accélérant l’allure. Si vous voulez mon avis, votre animal doit se remplir la panse en dévorant des touffes d’herbe.

-…

Je crois que je vais téléphoner à Alexis…J’ai rudement besoin d’entendre sa voix…Pense-t-il à moi présentement ? Un sourire affligé s’affiche sur mon visage. Non, assurément pas. Un poignard me transperce cœur.

-Et une fois le cheval retrouvé, je pourrais vous monter les rudiments du métier. De cette façon, vous aurez l’air moins bête. Quand dites-vous ?

Tout pour t’oublier, mon chéri.

Cet homme doit le faire exprès. Jamais personne ne m'a paru aussi progressivement peu sympathique. Je me réjouis déjà du moment où je pourrai lui envoyer la main pour ne plus jamais le revoir. Si je pouvais le faire sans me sentir coupable envers le centre d'équitation pour la perte d'un cheval, je m'en irais tout de suite, immédiatement, sans un seul regard derrière sinon pour m'assurer que cet homme glauque et effrayant me suit. Je frissonne. Il marche derrière moi et ça m'énerve. Je me sens stupide. Je me sens comme dans Le Roi lion II, quand la petite dit qu'il ne faut jamais tourner le dos à un exclu. Je n'ai pas l'habitude de juger les gens – ou peut-être que oui en fait, surtout mes pairs masculins – mais à la manière dont cet homme s'arrange, à sa manière de parler, il ne me fait aucun doute qu'il doit vivre un peu en retrait de la société. Une chose est sûre pour moi : il ne doit pas être docteur. Pas avec tous ses piercings. Et pas non plus avec sa tronche. Les patients s'endormiraient tous seuls rien qu'en le voyant arriver avec un bistouri dans les mains.

-Merci mais, non merci, je fais. Je n'ai pas vraiment envie d'apprendre à monter à cheval.

-Et pourquoi être venu aujourd'hui si vous ne voulez pas apprendre ?

-Ça ne vous regarde pas, je dis d'un ton brusque.

-Vous pourriez être plus poli. Je vous donne un coup de main et tout ce à quoi j'ai droit, c'est votre impatience et votre irascibilité.

Je grince des dents, accélérant ma marche. Je lui signale que je ne lui ai pas demandé son aide. Je m'arrête en plein milieu de ma phrase. Oui, je le lui ai demandé. Je me renfrogne alors que lui éclate de rire. Je ne veux pas l'entendre me corriger sur ce point. Je me contente de marmonner un petit désolé entre mes dents.

-Vous êtes venu pour une dame, c'est ça ? demande-t-il.

Je m'arrête brusquement, ce qui provoque une collision entre lui et moi, qui me fonce dans le dos. Il est tellement grand et massif qu'il manque de me projeter au sol – pitié, pas deux fois – mais il me rattrape par le col pour que je ne tombe pas. Il a de bons réflexes : il doit avoir l'habitude de brusquer les gens. Pauvres gens. Je ne voudrais pas être la pauvre victime de l'amour d'un homme de ce genre.

-Je … J'ai dit que ça ne vous regardait pas, je m'offusque.

-Oh il n'y a pas de mal à cela. Moi-même, j'ai postulé pour un emploi au salaire minimum rien que pour me trouver près de quelqu'un.

Oh alors il y a bien une victime de cet amour. Pauvre enfant, je le plains sincèrement.

-Ah, je fais.

-Cela ne vous intéresse pas ? demande-t-il.

Je soupire et me tourne vers lui, les poings sur les hanches.

-Non. Voyez-vous, j'aurais plutôt envie de trouver ce cheval au plus vite et rentrer chez moi pour avoir la sainte paix.

Mais ne le prenez pas personnel surtout, je marmonne pour moi-même. J'ai eu une mauvaise journée.

-Très bien, je dis en frictionnant les mains. Allons chercher ce cheval rebelle afin que vous puissiez retourner vous lamenter sur votre sort.

L’homme pince les lèvres et m’englobe d’un regard perçant. Si un regard pouvait avoir des flèches, j’en serais criblé de part en part. Lui souriant comme si de rien n’était, comme si je ne comprenais pas l’étendue de son expression, je reprends ma marche à travers la forêt, caressant l’encolure de ma monture. Aussi, comme pour éloigner le silence – et aussi pour taquiner méchamment mon compagnon, je débite une série d’absurdités qui lui fait grincer des dents.

-Mais si vous désirez toujours attirer l’attention de la jeune dame, ou du jeune homme, - Christian manque de s’étouffe avec sa salive – vous n’avez qu’à raconter votre palpitante aventure à travers les bois. Les femmes aiment bien quand les hommes accomplissent des choses folles pour elles, ça les avantage d’une certaine façon.

Son tient devient plus violacé de minute en minute, ses jointures se blanchissent à force de serrer les poings, les muscles de sa mâchoire se contractent. Souriant, je lui compte quelques anecdotes comiques sur l’absurdité de l’amour et sur le désir de séduire comme un idiot que j’ai rencontré qui s’était inscrit à des cours de relaxation pour s’approcher davantage de la fille de ses rêves. Finalement, il s’est avéré que la dite fille n’était pas du tout intéressée et qu’elle le narguait, elle abusait de lui. Aussi, j’ai rencontré un autre type…

-C’est bon ! coupe brutalement mon partenaire en sifflant furieusement. J’en ai assez entendu ! Vous ne croyiez tout de même pas… !!

Je n’ai jamais su ce que je croyais puisque le cheval de Christian broute à quelques pas de nous, sa longue queue touffue se balance régulièrement. Il rejette la tête, hennit faiblement à l’adresse de l’armée de mouches tourbillonnant autour de ses yeux et de sa gueule. Christian, plutôt fier et rassuré, se racle la gorge et réduit la distance entre lui et l’animal par de grandes enjambés empressées. Toutefois, le cheval relève la tête, tend les oreilles et s’enfuit en courant. Pour ma part, je ne peux qu’éclater de rire devant la mine déconfite de Christian. Puis, je grimpe sur le mien, le talonne fermement et l’avance en direction de l’homme. Sans lui demander la permission, j’attrape son collet et le dépose sur la croupe de mon destrier. Christian, affolé, me fixe avec un air éberlué. Cet air se détériore lorsque je lui dis de se cramponner à ma taille. Flanquant mes pieds dans les flancs de son cheval, je l’incite à courir derrière son semblable.

J’entends Christian jurer, claquer des dents selon les galops de Aselmah et gémir. Au loin, j’aperçois la monture de l’homme qui paître une fois de plus. J’immobilise mon cheval, démonte et m’avance vers l’animal. Ce dernier se laisser approcher, voire même caresser. Mes doigts parcourent ses flancs, remontent jusqu’à son long cou et s’agrippent à sa crinière.

-Bon cheval … Maintenant nous pouvons rentrer, monsieur Cabrol.

Une poupée de chiffon ! Cet homme trop sûr de lui a osé me mettre sur sa selle comme si j'étais une vulgaire poupée. Et il n'a pas eu l'air d'avoir de la difficulté à le faire. Le monstre, l'infâme ! Pour qui il se prend à la fin ? Je marmonne entre mes dents en remontant sur Adolphe le retrouvé, murmurant des imprécations mauvaises à son adresse et à celle de monsieur Desmond Ford. Je suis humilié, profondément humilié. Et Dieu sait que j'ai énormément d'orgueil. Heureusement qu'aucune femme ne se trouvait ici, parce que j'aurais été encore plus humilié. Je soupire en me redressant. Je n'ai jamais été très confortable à cheval. Desmond s'approche avec son cheval et prend les guides dans ses mains.

-Qu'est-ce que vous faites ?

-Eh bien je vais vous guider, dit-il.

Et pourquoi donc ? Il ne me croit pas capable de regagner le centre moi-même ? Sans son aide ? Monsieur n'est pas indispensable, je peux bien y aller seul. En plus, de quoi j'aurai l'air avec ce colosse qui guide mon cheval à ma place.

-Je lâcherai les rênes avant que nous n'arrivions, si cela peut vous faire plaisir et vous rassurer d'une quelconque manière.

Je réponds par un bougonnement indistinct. Je suis furieux. Le reste du trajet se passe dans le silence le plus total. Chaque fois que mon accompagnateur ouvre la bouche, je le foudroie méchamment du regard et détourne la tête. Au moins a-t-il le respect de se taire dans ces moments. Je suis persuadé qu'il ne me dirait que des bêtises. Ce serait bien de lui. Comme promis, il lâche les rênes avant que nous soyons en vue du camp. Une fois là, je démonte avec empressement, adresse un vague signe de tête à Desmond pour lui dire au revoir – et le remercier sans que cela paraisse trop – puis je laisse une employée s'occuper de mon cheval et le ramener à l'écurie. Avant que Desmond n'ait le temps de venir me parler, je marche en direction de ma voiture. Je le regarde dans le rétroviseur, qui retourne à l'écurie. Il est de dos, mais je sais qu'il sourit, amusé.

C'est la dernière fois que je fais un truc de ce genre pour une fille !

[topic terminé ^^ ]