Fichu [système] Imbécile ! [Smond]

Si je ne quitte pas ce job bientôt, je sens que je vais péter un plomb. L’atmosphère est sans arrêt tendue, et c’est bien pire depuis mon retour de vacances, depuis que Ford m’a raccompagné chez moi et m’a veillé toute la nuit. Je ne sais plus où me mettre avec lui. D’un côté je lui en veux de s’être immiscé comme ça dans ma vie, mais en même temps, s’il n’était pas venu me reconduire chez moi, Dieu seul sait où je me serais retrouvé. Remarquez, je n’aurais peut-être pas quitté cette rave avec tant de précipitation s’il n’avait pas été là, à se frotter contre moi, profitant de l’effet qu’avaient l’alcool et la drogue sur mon pauvre petit corps sans défense. Et puis aussi, il est bien sympa de m’avoir raccompagné, mais il n’était pas obligé de rester jusqu’à l’heure du souper le lendemain ! Je pousse un profond soupire, glisse la clé dans le tiroir caisse et le sort de son emplacement habituel pour aller le mettre dans le coffre. Demain matin, c’est moi qui ouvre, alors je compterai tout ça à ce moment là. La flemme de le faire maintenant. Je déteste faire la fermeture avec Ford. D’être tout seul avec lui me met toujours autant sur les nerfs qu’avant, si ce n’est pas pire. Je crois que c’est pire. Oui, bien pire. Pendant qu’il passe l’aspirateur, je me dépêche d’aller ranger ça. Je vais passer la vadrouille derrière lui, ramasser mon stock et je pourrai enfin quitter cette boutique de malheur. Demain, il ne travaille pas avant midi, et moi je termine à cinq heures alors que lui en a jusqu’à neuf. C’est ça, être les deux temps-plein de la place avec la boss. Je fais les lundi-mardi-mercredi-jeudi-vendredi, on se chevauche le jeudi vendredi et le lundi. La fin de semaine, c’est lui tout seul avec notre gérante et les temps partiels. J’aime les mardi et les mercredi, car il n’est pas là. Neuf heures quinze, quand je termine de laver le plancher. Lui, il s’affaire à prendre son temps pour ranger ses affaires, pour m’attendre.

-T’es pas obligé de m’attendre. I’m a big boy, j’peux m’arranger tout seul pour rentrer.

-C’est de la politesse, c’est tout.

Je marmonne dans ma barbe, range la mope et vide la chaudière d’eau dans le trou d’évacuation de l’arrière boutique. À tous les coups je me vire un truc dans le dos à soulever ce bassin d’eau. C’est le truc le plus chiant à soulever, du fichu liquide. Surtout quand tu dois être à genoux par terre et qu’il n’y a pas de poignée pour l’élever.

-Bon tu t’dépêches, je fais en le regardant replacer ses cheveux devant le miroir alors que je me débarrasse de mon t-shirt noir pour en enfiler un plus dans ma palette : blanc, avec un squelette en train de jouer de la guitare. J’ai pas envie de dormir ici.

-On ne ferait pas que dormir, si on restait tous les deux ici, dit-il, assez bas pour donner l’impression de ne pas avoir voulu être entendu mais assez fort pour que je l’entende.

Frustré, je lui lance le t-shirt dont je viens de me débarrasser par la tête et je ramasse mon sac en me dirigeant vers le système d’alarme capricieux. Capricieux pour quoi ? Parce que si, pendant qu’on le démarre, quelqu’un a le malheur de bouger, il refuse de démarrer, et on reste coincé jusqu’à nouvel essai. Je sais que la première nuit, je suis resté une heure devant à essayer de comprendre pourquoi ça refusait de fonctionner alors que j’avais les codes et les bons boutons, jusqu’à ce que je me tienne immobile.

-Don’t move, je dis alors que Desmond me rejoint.

-Hmn.

J’appuie sur les boutons. Ça ne fonctionne pas. JE soupire, demande à Desmond s’il a bougé et il me regarde avec un grand air innocent. Je jure. Maintenant il faut attendre dix minutes avant de faire un nouvel essai. Frustré, je balance mon sac et m’assieds par terre.

-T’es vraiment un connard, Ford. A fucking jerk !

listening to Nirvana - Big Long Now

Que tu peux être bestial, mon amour, quand tu le veux bien. Tes petits regards meurtriers, tes petites moues agacées et exaspérées, tes petits mots cinglants, tes petits gestes brusques. Ton attitude aujourd’hui m’excite au plus haut point. Pourquoi ? Je ne serai pas vraiment comment te répondre avec franchise, mais j’adore quand tu te sens mécontent de plus en plus…incontrôlable. J’ai l’impression que je pourrais faire un hoquet que tu me lancerais la caisse par la tête. Je souris pour moi-même.

Depuis cette petite soirée dans le Rave, tu ne m’accordes plus un seul regard savoureux, plus de commentaires aussi désobligeants soit-il, comme si j’avais accomplis un acte irréparable et intolérable. Pourtant, je n’ai fait que te raccompagner ; je m’inquiétais sur ta santé et j’estimais que j’en avais bien le droit. La drogue fournit toujours des effets secondaires déplaisants et dans ta situation, n’importe qui aurait pu te voler, abuser de ton étourdissement pour satisfaire leurs desseins pervers, t’assassiner, te blesser. Et je ne peux te perdre, sans me perdre moi-même. D’accord, je suis peut-être le plus susceptible de la liste à vouloir te violer, mais je ne permettrais pas qu’une autre personne ne me supplante. Le comprends-tu, mon bel ange ?

Tu t’avachis de tout ton long sur le plancher, t’adossant contre le mur avec désinvolture. Je remarque chez toi une nuance de désespoir, d’épuisement même comme si tout ceci te dépassait, te rendait fou. Est-ce le fait que le système d’alarme soit capricieux qui te fait soupire à ce point, ou bien cette journée tranquille et ennuyante ? Peut-être est-ce cette bande de filles qui se sont précipitées dans la boutique pour s’attrouper autour de ton joli corps de tombeur notoire. Elles bavaient, ces filles. J’étais jaloux de l’attention que tu leur promulguais, c’est pourquoi je les ai éjectées de la boutique après leur avoir demandé si elles comptaient essayer des vêtements ou seulement t’enquiquiner davantage. Je les ai conseillées de te visiter en dehors du travail, qu’ici tu avais mieux à faire que d’attendre des babillages incessants de pucelles en crise d’hormone. Curieusement, les femelles ont glapi d’indignation avant de quitter les lieux, le menton fièrement dressé. Elles méritent toutes une taloche sur le front, et bien pire.

-Es-tu occupé ce soir ? je demande sur le ton de le conversation.

Tu me jettes un coup d’œil inexpressif.

-J’vais peut-être voir du monde.

Je fronce les sourcils et m’enquiers auprès de ma montre. Il ne reste que cinq minutes en ta compagnie, mon très cher. J’aimerais éterniser ce moment jusqu’à la fin de notre vie…Qui sait, peut-être seras-tu consentant pour certaines petites choses de nature frivole. Je souris bien malgré moi.

-Oh…J’espère pour toi que ce n’est pas ce tas de filles moches qui sont venues te saluer et t’admirer tout à l’heure.

Tu hausses les épaules.

-Sinon…, j’avance avec une once d’hésitation. Je t’aurais invité à aller boire un verre.

Boire un verre ? En sa compagnie ? Plutôt crever ici ou avec ces pimbêches que de me taper ne serait-ce qu'une heure dans un bar avec Desmond. Bien assez des cinq minutes supplémentaires qui viennent de passer. Je l'endure au boulot, et c'est tout. Et encore, je prévois aller porter mon cv dans d'autres boutiques prochainement, parce que franchement, je commence vraiment à n'être plus capable de le supporter. Ça devient lourd, à la fin. Et moi je suis quelqu'un de léger, qui aime quand tout est simple, et que je n'ai pas à me prendre la tête. Je soupire, regarde ma montre à nouveau. Quatre minutes de plus avant la prochaine tentative.

-Même si j'avais rien eu de prévu, j't'aurais dit non, tu dois t'en douter un peu, no ?

Desmond hausse les épaules avec nonchalance. Il ne semble pas posséder le mot "refus" dans son vocabulaire. Je n'ai jamais vu un type aussi bouché. Quelques minutes de silence puis un nouveau regard vers la montre. Je me lève sur mes pieds et retourne vers le système d'alarme.

-Si tu bouges …

Je laisse mes mots en suspens, appuie sur les boutons de la petite machine pour former le code de l'alarme et … rien. Je me pince les lèvres, pousse un soupire ressemblant plus à un grognement qu'à autre chose. Décidément, il le fait exprès. Mais je décide de jouer un autre jeu.

-You know, Ford … ça pourrait prendre du temps. T'as qu'à y aller, je suis capable de rentrer le code tout seul.

Il secoue la tête, me dit qu'il ne me laissera pas tout seul. Après tout, il était sur l'horaire pour la fermeture et qu'on doit la faire à deux. J'ai beau lui expliquer – avec beaucoup d'insistance – que la règle de deux, c'est pour le ménage et tout et tout ! il ne veut rien entendre et reste là. Un dix minutes entier passe avant qu'on n'en vienne à une décision. Moi je veux le voir partir, lui, il insiste pour rester et ne pas me laisser tout seul. Il pousse même l'audace à dire que le mail est dangereux une fois la nuit tombée, et le quartier, qu'il ne voudrait pas qu'on m'agresse dans la rue.

-You crazy ? je demande, choqué. J'ai plus peur pour mes fesses ici que dans la rue avec les clochards. Alors cette fois, si tu bouges, je te jure que je t'étrangle !

Il sourit, visiblement amusé par ce que je viens de dire.

listening to Basshunter

Je ricane. Ce que tu peux être futé, mon tendre Alex. Tu crains pour ton si joli postérieur en ma présence ? Tu devrais craindre pour autre chose, d’ailleurs. Le sourire sur mes lèvres s’étire largement, tel le sourire carnassier du loup affamé. Un grondement sourd retentit dans mon estomac, me faisant quelque peu sursauter. Tu me dévisages avec froideur puis foudroies mon ventre d’un air méprisable. Quelque chose de déplait, mon trésor ? Tu sens que je vais te poser une question délicate à laquelle tu refuseras, n’est-ce pas ? C’est que tu as bien visé.

-J’ai faim, je minaude en m’adossant contre le mur de la boutique.

J’ai faim, certes oui, mais mon envie ne se limite pas seulement au besoin de me nourrir. Mon envie s’étend jusqu’au désir de ton corps, de ta bouche, de ton être tout entier. J’ai rudement faim de toi. Si je pouvais, j’ouvrirais la boucher et t’engloutirais sans difficulté. Je suis certain que tu apprécierais cette petite attention de ma part. Soudain, comme à toutes les fois où je visualise l’un de mes fantasmes te concernant, je te vois étendu sur le dos, ruisselant de sueur, le torse soulevé par une respiration saccadée, les joues rouges par tant de luxure tandis que tes mains s’agrippent à ma longue chevelure, ma tête nichée entre tes cuisses ouvertes. Parfois, je m’interroge sur ton goût. Ton véritable goût. Celui qui apporte la vie et la plaisir. J’aimerais bien déboucler ta ceinture et…

-Tu ne voudrais pas qu’on aille manger quelque part au lieu d’aller boire un verre. Je te le paie, si tu veux.

Ainsi, je pourrais te contempler, m’abreuver de ta voix et de ta vue, de ton contact et de ton parfum. Et ensuite, revenir à la maison tard dans la nuit, une fois que je t’aurais vu te glisser silencieusement dans ta demeure, et rêver de toi jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Jamais, tu ne verras un amant aussi intentionné à ton égard, jamais tu ne rencontreras une personne aussi attachée à ton être, jamais individu ne pourra t’aimer plus que je t’aime moi-même. Accepte cette modeste invitation, je ne te violerai pas.

-Ford, mais t’es fou, dis-tu en t’efforçant de maîtrise le flux de colère qui te submerge.

-Pas du tout, je rétorque d’une voix railleuse. Je ne t’ai pas demandé de baisser ton pantalon, de te retourner et d’écarter généreusement les cuisses.

Tu glapis de terreur, tu hoquette d’horreur, tu te figes, effrayé par mes paroles légèrement trop crues pour un individu aussi pur et chaste que toi. Quoi ? Quelque chose t’horrifie, mon oisillon ? Rejetant ma tête en arrière, je rigole devant ta mine déconfite et altérée. Puis, je me tapote la lèvre inférieure et hausse les épaules, toujours souriant.

-Mais avoue que l’idée est alléchante, pas vrai ? je murmure tout doucement.

-Ford ! t’écries-tu, outré par mon comportement. Tu es dégoûtant !

Afin de ponctuer tes propos, tu me lances l’un de tes sacs par la tête, ce qui me fait rire davantage.

-C’est bon, je comprends. Alors ? Grignoter quelque part ? Ça te dit ? C’est beaucoup plus innocent que ma deuxième proposition.

-Parce que c’était une proposition, grimaces-tu.

Je souris de plus belle.

-Eh bien, si un tête-à-tête au restaurant te déplaisait, peut-être avais-tu une idée en tête pour le restant de la soirée.

Je soupire. Ce type est exaspérant. Qu’est-ce qu’il va falloir que je lui dise ou que je fasse pour qu’il me fiche enfin la paix ? J’essaie de le blesser avec des mots, rien n’y fait, je le blesse avec mes poings et rien n’y fait non plus. C’est le maniaque le plus résistant que j’ai vu de ma vie. Je me retourne à nouveau vers la boîte du système d’alarme. Nouvel essai dans deux minutes. Si Ford fait tout planter, je le tue. Ça le gardera peut-être immobile, nah ? Je laisse mon front taper sur le mur et j’y reste appuyé un moment. Puis, une idée.

-Si je promets que j’irai manger un truc avec toi, tu promets que tu bouges plus du tout ?

Un sourire s’étampe sur ses lèvres. Un sourire satisfait, un sourire qui en dit beaucoup trop long sur son propriétaire. Nouveau soupire de ma part. Dans quoi est-ce que je viens de m’embarquer ? Ford hoche la tête et se lève pour venir me rejoindre. Il s’adosse au mur à côté de moi en me disant que je peux même surveiller son immobilité. Je ricane. Si ça ne tenait qu’à moi, je l’attacherais à une table. C’est ce que j’appelle immobiliser quelqu’un. Mais con comme la lune qu’il est, il y aurait vu une invitation douteuse. Ce qui n’aurait absolument pas été le cas et je suis prêt à parier qu’au final, c’est moi qui me serait retrouvé attaché à cette maudite table. J’entre le code du système d’alarme et, miracle, il démarre. Enchanté, je souris bêtement en attrapant mon sac et en me projetant vers la sortie, suivi de Ford. Clé dans la serrure, départ imminent. J’oblique vers la gauche, vers chez moi. Ford me suit.

-Dans quel resto tu veux aller ?

J’accélère le pas, essayant bêtement de le perdre derrière moi dans les rues du centre ville.

-Oh, tu sais ... J’vais plutôt rentrer chez moi. Je suis crevé.

J’accélère encore. Ford doit être à quelques mètres derrière moi. Puis je coupe dans une ruelle. De l’autre côté, il y a l’arrêt du bus qui me ramènera chez moi. J’entends le monstre pousser un juron derrière moi. Il me rattrape environ au milieu de la ruelle, me tirant en arrière et m’envoyer valser violement contre le mur.

-Tu avais promis, Alex.

-Tu vois pas que j’ai dit ça seulement pour me débarrasser de toi ?

Ce n’était peut-être pas la chose à dire. Pendant un instant, il recule. Je crois l’avoir suffisamment blessé cette fois. Satisfait, j’esquisse un mince sourire et réajuste la courroie de mon sac, qui s’est un peu fuckée quand il l’a saisie pour me tirer derrière. Mais il suffit de laisser une seconde d’inattention à ce type pour qu’il en profite. Je me retrouve à nouveau le dos plaqué au mur, plus fort cette fois, et avec Ford de l’autre côté qui appuie fermement sur mes épaules pour me maintenir en place. Je gémis, lui hurle à la tête de me lâcher. Un peu plus loin, il y a un clochard qui se réveille. Il doit avoir l’habitude de ce genre d’altercations car il se rendort aussitôt après nous avoir jeté un coup d’oeil circonspect. Je lève les yeux, croise le regard de Ford, furieux. Ce qui brille dans ses yeux, j’Essaie de ne pas y porter attention. C’est violent, c’est mauvais.

-Lâche-moi.

-Pas envie.

-FORD !

Son genou remonte entre mes cuisses, me clouant encore plus au mur alors que je tentais de me dégager. Son corps se presse contre moi. Affolé, je lui demande ce qu’il compte faire. Pas de réponse. Ford, je hurle à nouveau. Ça n’a pas d’autre effet que de le faire sourire et de se pencher pour happer ma bouche. Mon prochain cri est étouffé par sa langue, que je mords, saisi d’une douleur foudroyante à la poitrine. Pendant un moment, je me demande si je n’ai pas fait une crise cardiaque. J’ai l’impression que mon torse vient de se déchirer subitement. Du coin de l’oeil je vois du sang, je vois Ford reculer un peu puis revenir pour m’empêcher de tomber. J’entends vaguement sa voix, je le vois qui se penche sur moi, un air de panique sur le visage.

listening to Limp Bizkit - The Truth