Péché de l'âme [pv Nany]

Pour toutes choses, il y a une voie facile – agréable, douce et tentante – et une voie moins invitante, dure et parsemée d'embûches. Il est assez facile, dans la plupart des cas, de deviner quelle personne a ou va choisir quelle voie. Dans mon cas, ce fut facile. Captivé par les maladies cardiaques depuis la mort de mon père, je me suis lancé corps et âme dans cette quête de guérison pour aider les gens. J'ai pris la première porte qui s'est ouverte devant moi. Si on prend Nathanielle, ma gentille stagiaire depuis un mois aujourd'hui, on peut voir qu'elle a choisi la voie plus compliquée à suivre. Elle aurait pu travailler dans un bureau, seule derrière une montagne de paperasse, sans aucun contact humain. Elle en aurait été capable. Toutefois, elle a choisi un métier dans le public, alors que visiblement, ce n'est pas sa force. Force m'est de reconnaître qu'elle est quand même drôlement compétente derrière un masque de chirurgienne, une fois le patient endormi bien sûr.

C'est le livre de la vie. Chacun fait ses choix. Ma passion m'a été donnée facilement, mais Nat aura à travailler plus dur pour arriver au bout de ses idéaux. Ce qui lui manque, je crois, c'est la capacité de converser d'une manière tout à fait banale avec un homme. D'où l'opération d'aujourd'hui.

-C'est le poison de l'âme Nat, je ne te le répèterai jamais assez. Notre péché mignon va tous finir par causer notre perte. Moi ce sera les femmes. Mais vous ? je demande en regardant dans le rétroviseur pour voir si une voiture suit la mienne.

Il faut qu'elle se voie. C'est un spectacle si charmant de la voir réfléchir ainsi. Depuis près d'une heure – depuis notre départ de la ville soit – nous nous perdons dans des discussions philosophiques. Des folies terroristes, nous sommes passés au péché, et comme elle semblait mal à l'aise avec le péché de chaire, je me suis débrouillé pour nous faire dévier sur le péché de l'âme. Son index posé sur le renflement de sa lèvre supérieure, elle regarde la route de montagne devant nous. Elle finit par hausser les épaules.

-Pour être franche, je ne sais pas. Je n'y ai jamais songé.

-Eh bien vous avez le weekend pour le faire, je dis. On est presque arrivés.

-Où est-ce que vous m'emmenez d'ailleurs ?

Je souris, énigmatique, en engage ma petite voiture de docteur dans une route perpendiculaire à celle sur laquelle nous nous trouvions avant. Cette nouvelle route est plus raboteuse, moins droite. Mais elle mène directement à notre destination, à moins que nous ne fassions un accident.

-Cela fait un mois jour pour jour que nous nous sommes rencontrés, Nat. Vous avez beaucoup progressé pour ce qui est de votre gêne avec moi, mais m'est avis que ce n'est pas encore assez.

Je la regarde rougir et tourner la tête vers la fenêtre pour ne pas me regarder.

-Je ne vous fais aucune proposition indécente, voyons. Non Nat, je nous offre un petit weekend dans un endroit calme, de détente pure et simple.

Elle tourne à nouveau son visage vers moi. J'ai un peu appris comment elle fonctionnait durant ce dernier mois. Cela me permet de mieux diriger mes propos pour ne pas la faire retomber dans son trouble.

-Vous avez entendu parler des sources chaudes ?

Le dépliant est on ne peut plus attirant : massages, repas divins, chambres confortables … mais par-dessus tout, les sources, chaudes pendant toute l'année.

Nous déposons nos valises dans notre chambre. Oui…Notre…J’ai failli subir une attaque du cœur lorsque j’ai appris la …mauvaise nouvelle. La réceptionniste des sources chaudes a réservé qu’une chambre pour Monsieur Cabrol et moi, une chambre composée d’un lit double – et non de deux lits simples -, de deux tables de chevets, d’un petit boudoir pour se reposer, d’une commode en bois d’if à l’ornementation dorée. Un petit balcon donne une vue sur la terrasse de l’établissement où se prélassent quelques individus. Nerveusement, je lisse ma jupe en jetant de brefs coups d’œil en direction de mon compagnon. Puis, déglutissant avec misère, je lui dis que ce ne sera pas nécessaire pour lui de dormir sur le sol comme il l’avait proposé. Voyons…je ne suis pas méchante, je ne le laisserai pas s’assoupir sur un plancher froid et dur.

-Vous êtes sûre, Nat ? demande-t-il en arquant un sourcil.

Mon visage s’empourpre rapidement.

-Je…Le…Lit est…assez grand pour…po-pour nos deux…, je bafouille.

Il me darde un sourire étincelant avant de remercier la dame qui nous a conduits jusqu’ici. Celle-ci nous observe avec bienveillance en complimenter notre…couple…Je défaille, je trébuche et me rattrape en m’accrochant à la penderie. Aussitôt, Christian se précipite vers moi et enroule un bras protecteur autour de ma taille. Mon cœur palpite si fort que j’ai peur qu’il ne l’attende, mes joues me brûlent à un tel point que j’ai l’impression que je pourrais y faire cuire des œufs. La chaleur de son corps contre le mien me fait paniquer, mais je lui permets de transporter vers le lit où je m’assoie en bredouillant des excuses sur mes vertiges.

-Vous en avez souvent ? relève Christiant de sa belle voix modulée…

Bel-belle voix…mo-modulée ? Oh juste ciel…Sale dévergondée ! Cesseras-tu de fantasmer sur cet homme épris par les vraies femmes !? Il ne te regarde pour la seule et bonne raison que tu es sa stagiaire…J’émets un gémissement plaintif…

-Nat ? Tout va bien ? Tu devrais consulter un médecin, ce n’est pas normal d’avoir autant de vertiges. Tu es sans doute malade.

Oui…Malade d’amour…Oh ! Nany ! Vilaine petite pu…pu…pute ! Comment oses-tu te prétendre amoureuse de ce…ce sublime homme au sourire chaleureux et séduisant…Je me gifle violemment devant ses pensées effrontés. Christian papillonne des paupières, abasourdi par mon comportement. Oh … j’espère qu’il ne soupçonne pas ce qui se passe dans ma tête…Il me pointerait du doigt en hurlant : gueuse ! Je me lamente.

-Nat ? Veux-tu que nous retournons en ville ? s’enquit le docteur Cabrol d,une voix inquiète.

-Non ! je dis, emporté.

Puis je me reprends, plus modérément cette fois… :

-Je me sens…bien…Oui…Très bien…Que faisons-nous maintenant ?

C'est la seconde fois qu'elle se gifle ainsi devant moi. Je suis étonné, surtout qu'elle affirme se sentir bien. Présentement, j'en viens presque à douter de sa santé mentale. Elle est peut-être bien habile avec un scalpel et des pinces dans les mains, mais en dehors de cela, je sens que je vais devoir creuser pour réussir à la comprendre. Je soupire en me redressant. J'étais accroupi devant elle, pour voir si elle allait bien, pour être à sa hauteur.

-Bien, si vous le dîtes. Vous n'hésiteriez pas à me le dire, si quelque chose n'allait pas ?

Elle hoche la tête frénétiquement, presque à s'en dévisser le cou. L'image est amusante, et je réprime un ricanement moqueur. Pas moqueur méchant, juste moqueur amusé. Je me contente de lui sourire à nouveau – un sourire n'a jamais tué personne – pour me montrer chaleureux. Plutôt que de la conforter, cela semble plutôt lui provoquer un nouveau vertige. J'aime les femmes. Mais je ne les comprendrai jamais. Je marmonne un peu entre mes dents, pour moi-même. En fait, je me remémore le déplient de la place, essayant de me souvenir de toutes les activités proposées. Mon esprit s'illumine soudain.

-Vous vous sentez assez bien pour vous relever ? je m'enquis en prenant sa main et en l'invitant à me suivre.

-O-oui, dit-elle en trébuchant pour me suivre. Où allons-nous ?

Je souris toujours après avoir verrouillé la porte de notre chambre. Parlant de cette chambre, il vaudrait mieux que je veille à ce que l'on nous installe un autre lit, quitte à ce que ça me coûte cinquante dollars de plus. Nous traversons les couloires, moi affirmant que j'ai trouvé ce qu'il lui fallait pour se détendre.

-M-mais je suis p-parfaitement détendue, s'offusque-t-elle.

J'éclate de rire, rejetant mes cheveux vers l'arrière de ma tête. Les tapisseries luxueuses du corridor finissent enfin par finir et je nous engage dans l'escalier après avoir jeté un coup d'œil à une carte de l'établissement. Bien, dans l'aile ouest.

-Nathanielle, vous êtes rouge à chaque fois que j'ouvre la bouche ou prends votre main, vous tremblez comme une feuille, vous êtes constamment tendue… Laissez-moi vous offrir une activité tranquille qui saura vous remettre sur les rails.

Elle couine encore un peu, mais se laisse entraîner à mon gré. Nous passons devant le bureau de l'hôtesse, qui m'informe qu'il reste encore une place pour les bains de boue.

-B-bains de boue ? dit-elle, rougissante. Pourquoi faire ?

-Vous en avez bien besoin, dis-je avec calme en me tournant ensuite vers la secrétaire. Donnez-lui la place restante, et dîtes-moi s'il reste des skis à louer.

Nani ne me laisse même pas le temps d'entendre la réponse de la dame. Elle s'offusque que je ne lui aie pas demandé son avis et que je l'abandonne aux mains d'une inconnue. Je la rassure, lui dis qu'elle se détendra beaucoup plus si je ne suis pas dans le même bain qu'elle. Argument choc qui finit par la faire céder. Je la pousse dans la direction du salon de soins et retourne voir la secrétaire. Nani et moi nous rejoindrons à la chambre dans quelques heures.

Un bain de boue. C’est plutôt agréable comme sensation. J’attendais à ce que l’odeur soit exécrable et le toucher répugnant. Mais la dame qui m’a reconduite jusqu’ici ne m’aurait pas permis de rebrousser chemin. Alors je me suis laissée entraînée contre mon gré; désirant demeurer avec le docteur Cabrol. Qu’importe, je me sens plutôt bien ici. Je suis calme et posée, réfléchie aussi. Pauvre Christian, il ne comprend absolument pas le comportement féminin. Les rougissements et les tremblements, la faiblesse et les gifles sont dus en grosse partie par mon attirance envers lui. Il ne saisit vraiment pas cette sensation infiniment douce et profonde qui me terrasse toutes les fois où je le vois. C’est la première fois que je ressens autant d’intensité, autant d’émotions pour un homme. Ma mère m’a élevée en parfaite jeune fille qui ne succombera pas au premier regard d’un agent du sexe masculin. Elle serait cruellement déçue. Cruellement.

J’ignore combien de temps je suis restée dans le bain de boue à songer au docteur Cabrol, si gentil de m’offrir une fin de semaine comme celle-là sans vouloir obtenir une récompense pour toutes ses dépenses et cette générosité ; il me l’a exprimé plus tôt. Quelle gentillesse, quelle tendresse, quelle amabilité. Je ne me croyais pas digne d’autant d’attention, même à l’hôpital il me pose sur un piédestal. Je soupçonne les autres femmes d’être jalouses de ma relation avec Christian, la plupart de l’établissement croit que nous couchons ensemble, lui et moi. Quelle idée farfelue ! Je suis bien trop timide et peu jolie pour attirer un homme de sa trempe et lui, bien trop beau et désiré pour me remarquer.

Après une bonne douche, je me rends à notre chambre que je trouve plongée dans la pénombre et immobile de toute présence humaine. Où est le docteur Christian ? Séduit-il une jolie femme dans une pièce quelconque de la maison ? Absurde, il ne s’abandonnerait pas à ce genre d’activité alors que je suis si près…alors que cette fin de semaine est pour mieux nous connaître et se sentir mieux l’un avec l’autre. Une pointe de jalousie naquit au creux de mon cœur et me ronge l’esprit lorsque je le vois faire irruption dans la chambre. Rejetant le livre que je faisais mine de lire, je l’examine avec minutie. Ses cheveux ne sont-ils pas dépeignés ? Malgré son air las, ne porte-il par le masque de la volupté ? Ses vêtements comportent-ils des traces de déchirures ou de tâches permettant de me…Oh dieu ! S’il fornique ! À sa guise !

-Tout va bien, Nat ? dit-il en fourrageant dans ses valises.

-Oui, je…je…J’étais un peu dans la lune.

-Vous êtes toute pâle.

-Oh ? … Ah oui ? …Je…Je n’avais pas remarqué…

-Vous avez faim ?

-Je…Oui.

Il est vraiment très beau. Soudain, il me signe de le suivre et nous nous dirigeons vers la salle à manger.

Je suis épuisé par ma journée. Je me demande comment j'ai réussi même à concevoir l'idée d'évoquer l'idée de décider de l'inviter à dîner. Si ce n'avait été que de moi, je serais au lit en ce moment, le nez sous les draps, les yeux clos… Juste d'y penser, je baille. Heureusement que Nathanielle regardait ailleurs : ce n'était pas très élégant pour un gentilhomme de bailler ainsi, sans même poser la main devant sa bouche. Pas très poli non plus lorsqu'on est accompagné de quelqu'un d'autre. Surtout lorsqu'il s'agit d'une femme. Les hommes n'en ont rien à faire de ce genre de politesses.

Ça fait quinze minutes que nous avons commandé nos repas. Une assiette de pâtes et de poulet gratinés pour elle, et un plateau de côtelettes d'agneau pour moi. Autant se gâter, tant qu'à être ici. Et puis j'ai les moyens de le payer, de toute façon.

-Vous prendrez bien un peu de vin, Nat ?

Elle me fait non de la tête, m'affirme qu'elle ne boit pas. Quoi ? À son âge ? Je souris, ris, prends sa coupe et en verse un fond minuscule, lui demandant au moins d'y goûter, précisant qu'il s'agit d'une excellente année. Pour ce que j'y connais. Gênée, elle prend sa coupe du bout des doigts – ça en tout cas, elle l'a – et la porte à ses lèvres, hésitante. Le liquide l'atteint, et elle grimace avec de reposer la coupe sur la table.

-C'est trop fort.

-Eh bien je ne vous ferai jamais goûter au rhum. C'est mon péché mignon, je fais avec un clin d'œil. Parlant de péché : L'avez-vous trouvé le péché de votre âme.

Elle me dit que non, mais me rappelle ce que j'ai dit, qu'elle a tout le weekend pour y penser. C'est vrai, je l'ai dit. J'aime bien la pousser à réfléchir à des sujets auxquels elle ne pense pas, en général. C'est amusant et intéressant de la voir froncer les sourcils. On voit presque ses méninges s'agiter derrière ses yeux.

Le repas arrive, il est délicieux. Ça se passe le mieux du monde. Nathanielle a de la conversation, et moi aussi. L'ambiance et le bain de boue de tout à l'heure semblent l'avoir détendue enfin, et elle rit franchement avec moi, dit presque tout ce qui lui passe par la tête. Elle me dit même qu'elle est contente de faire ce stage avec moi et pas quelqu'un d'autre. Sauf qu'après cette phrase, elle replonge le nez dans son assiette, rougissante.

-Allons, allons, dis-je. Il n'y a aucun mal à apprécier les gens que nous côtoyons. Et suis-je donc si peu appréciable qu'il est gênant de m'apprécier ?

Elle fait non de la tête, glousse un peu, comme elle le fait si souvent à l'hôpital, rouge comme une pivoine toute fraiche. Je soupire. Je crois que l'ambiance est perdue. J'aimerais bien savoir où j'ai gaffé. Le reste du souper se passe dans la tranquillité, et je paie avant de nous faire remonter à notre chambre.

-Bon, je vais demander s'il y a des couvertures supplémentaires quelque part dans le bâtiment, pour m'aménager le sofa en un lit de pacha.

Elle me regarde, affirmant que de toute façon, c'est elle qui prend le divan, prétextant que j'ai eu une journée fatigante, et elle, relaxante. Ce n'est pas une raison. L'homme cède la place confortable à la femme. Sexiste ? Non. Gentil, galant.

-Vous avez bien dormi, monsieur Cabrol ? je m’enquis en le voyant se redresser du sofa, le dos courbé, une grimace horrible sur le visage.

-Pas trop. J’ai l’impression qu’un troupeau d’hippopotames m’ont piétiné durant la nuit. C’est assez désagréable.

Mes yeux s’agrandissent comme des soucoupes. Néanmoins, je poursuis ma mission de coiffer ma longue chevelure devant la psyché de la chambre. Toute fière, je me suis vêtue d’un chemisier crème en satin et d’une jupe noire à la découpe sévère qui souligne mes hanches. Le docteur Christian pivote son regard vers moi et, les pupilles dilatées, il se précipite vers moi en m’examinant d’un œil critique et réprobateur. Un peu comme un père qui observe sa jeune fille affublée d’une mini-jupe et d’un haut de bikini en triangle.

-Mais qu’est-ce que c’est, Nat ? m’interroge-t-il en englobant sa question d’un geste vaste de la main.

-Je…Euh…Des nouveaux vêtements, vous aimez ? je fais en tournant sur moi-même pour qu’il contemple ma légère transformation, évitant de rougir comme une sotte.

-Je…Eh bien…

Il passe une main dans ses cheveux noirs tout en me dévisageant de haut en bas. De plus, sous ma jupe dont l’ourlet atteint le haut de mes genoux, je porte des bas de nylon en filet et de fins souliers. Ma sœur m’a proposé cet ensemble pour épater un homme. Cet accoutrement ne signifie aucunement que je veux faire…faire…la…la chose là, mais qu’au contraire, il lance un message subtil à l’homme. Encore là, ma sœur m’a avoué que peu d’hommes doués de bon sens comprennent ces signaux. Alors, Christian les a-t-il captés ? Je le fixe avec attention, m’efforçant de ne point m’empourprer face à mes pensées stupides.

-C’est bien, même très bien…

-Vous trouvez ?

Ma sœur m’a appris comment se conduire avec un homme, du moins de son point de vue à elle. Mais de mon côté, je ne sais pas comment respirer ou marcher en présence du sexe masculin. Et ce Docteur me rend mal à l’aise. Pas un malaise désagréable, mais plutôt une sorte de sensation de nervosité à son paroxysme qui se creuse une place au fin fond de mon être.

-Ça vous va à ravir.

Je rougis brusquement. J’ai l’impression qu’on pourrait faire cuire des œufs sur mes joues tellement elles sont chaudes.

-Il y a un employé de l’hôtel qui vous plait, avouez-le ? me taquine Christian en souriant bêtement.

Outrée, scandalisée, profondément humiliée, je claque des talons et m’enfuis dans la salle de bain où je troque ma chemise pour une veste au col roulé et une paire de jeans en marmonnant contre l’imbécilité des hommes.

JE ne comprendrai jamais rien aux femmes. Enfin, je veux dire, rien de plus. Car pour un homme, je suis conscient que j'en connais par mal, quand même. Je sais ce qui les fait grimper aux rideaux à l'heure des caresses, je sais qu'elles aiment les compliments, je suis capable de savoir en regardant une femme si elle veut être brusquée ou prendre son temps. Je sais ! Mais Nathanielle est une énigme pour moi. Je ne la comprendrai jamais. Je la complimente sur sa tenue, je lui souris, me montre aimable à outrance et qu'est-ce que je récolte ? Madame me boude pendant toute la journée, les bras croisés sous sa poitrine par-dessus le col roulé qu'elle a enfilé quand elle est allée se changer.

Je regarde devant moi, de l'autre côté de la table. Ça fait une heure que nous sommes assis là, et elle ne m'a pas dit un mot autre que "si ça vous dit". Je soupire, me mets à tapoter mon assiette avec ma fourchette, tout comme elle. Ce son m'ennuie, car il démontre le malaise que je ne comprends pas qui s'est installé entre nous.

-Vous voulez un dessert ? je demande poliment après un certain moment.

Elle lève les yeux au ciel, comme voulant me demander si c'est tout ce que j'avais à dire. Frustré, je pince les lèvres et fronce les sourcils. Je pose ma fourchette en douceur sur mon assiette, repousse le plat, vite imité par ma stagiaire.

-Nous partons ? demande-t-elle.

-Oui. J'en ai assez de cette petite guerre du silence. Par Dieu, qu'est-ce que je vous ai fait ? Expliquez-moi.

-Ma sœur avait raison, marmonne-t-elle dans sa main.

Nathanielle a une sœur ? Je l'ignorais. C'est fou comme elle et moi nous connaissons à fond…

-Raison à propos de quoi ?

-À propos des hommes.

-Des hommes ? Elle a raison de dire que nous sommes des imbéciles ? Eh bien d'accord ! Je suis un imbécile ! Maintenant expliquez-moi ce que j'ai fait de mal, que je puisse m'excuser.

Elle me regarde, blême comme un drap, puis secoue vigoureusement la tête. Comment ? Elle ne veut pas m'expliquer ? Je soupire. Alors oui, peut-être pouvons-nous partir si elle n'a rien à me dire.

-Moi j'ai encore très faim pour un dessert, dit-elle avec un rire nerveux. Vous prendrez quoi ? Cette fois c'est sur mon bras !

Elle a parlé tellement vite que j'ai failli ne rien comprendre. Je la regarde, interloqué par son changement soudain d'attitude. Elle n'a pas envie de me décrire mon imbécillité, à ce point ?

J’étais vraiment à deux doigts de tout saccager à cause de ma mauvaise humeur. Seigneur, pourquoi faut-il toujours que je m’emporter pour des raisons aussi puériles ? Cet homme est aveugle et sourd, il ne saisit rien lorsqu’une gentille petite stagiaire se met à le complimenter et à emprunter le chemin de la séduction. C’est un homme. Il a besoin de signaux visibles sinon il ne comprend rien. Rien de rien. Ma sœur avait raison, elle qui s’y connait autant avec les hommes. Je soupire de découragement et risque un coup d’œil en direction de mon compagnon qui s’affaire à empaqueter ses effets personnels.

-C’était…vraiment…une très jolie fin de semaine, je fais en rougissant et babillant.

Il sursaute, pivote sur ses talons et sourit faiblement, une main dans ses cheveux noirs d'ébène. À quoi pensait-il ? Peut-être à la jeune fille que nous avons croisée dans la cage d’escaliers, jeune fille très élégante et raffinée, je me dois de préciser. Mes joues se rosirent furieusement et un léger tremblement de jalousie s’empare de mes membres lorsque je me souviens du regard lourd de sens de Christian en contemplant l’inconnue. Du moins, il a la décence de contenir ses traits, de voiler ses yeux et de ravaler le filet de bave qui ne tardait de s’échapper d’entre ses lèvres. Penaude, je me laisse choir sur le lit et enveloppe mon visage de mes mains froides. C’est pas bien du tout la jalousie. Vilaine Nany, tu devrais avoir honte. Vraiment honte. J’agis comme une…une…une…femelle en chaleur …

-Encore un malaise ? s’enquit le docteur Cabrol en se plantant devant moi tout en m’examinant avec soin.

Il redresse mon menton avec ses doigts, applique quelques techniques de médecine afin de vérifier mon état de santé et conclut, satisfait, que je me porte bien. Alors, pour le rassurer un peu, je prétends subir quelques étourdissements lorsque je tarde de manger et, s’emportant, il attrape le téléphone et compose le numéro de la réception. Il réclame donc une petite collation pour moi et me sourit, heureux, au moment de raccrocher. Par chance qu’il n’a pas des oreilles fines, sinon il aurait perçu les battements de mon cœur. Je le sens qui s’emballe, qui exécute des sauts périlleux dans ma poitrine.

-Alors, ce péché de l’âme, l’avez-vous trouvé ?

Je me tapote la lèvre inférieure et fixe le plafond derrière lui, songeuse. C'est le poison de l'âme Nat, je ne te le répèterai jamais assez. Notre péché mignon va tous finir par causer notre perte. Lui, ce sont les femmes. Mais moi ? Je n’ai jamais songé à mes péchés. Et puis, dans les sept péchés capitaux, lequel décrit ma personnalité Lui, sans nul doute, il s’agit de la luxure. Un rougissement fugace brûle mon visage. Qu’est-ce qui pourrait causer ma perte. Je regarde longuement, avec gêne aussi, Christian qui attend visiblement une réponse adéquate. J’incline la tête, souris faiblement puis plonge mes yeux incertains dans ceux francs et pétillants de l’homme.

-Je crois, du moins c’est ce que je pense, que l’envie est mon péché de l’âme.